Cet article est l’amorce d’un échange au sujet des difficultés que rencontrent certains médiateurs scolaires internes aux établissements en Belgique francophone.

En savoir plus : http://mediation-scolaire.be/le-modele-bruxellois-le-service-de-mediation-scolaire-en-region-de-bruxelles-capitale et https://bravvo.bruxelles.be/scolarite

Chaque expérience de médiation est différente : il est donc intéressant de lancer la discussion à ce sujet. Pour cela, re-contextualisons un peu …

L’école, une institution semi totale, exerçant une violence symbolique légitime

Goffman avait abordé en son temps la notion d’institution totale, surtout concernant les domaines carcéral et psychiatrique. Pour lui, une école peut rejoindre certains aspects de l’institution totale mais pas entièrement puisque les individus qui la composent peuvent se libérer.

En savoir plus : « Erwin Goffman, sociologue de l’Ecole de Chigaco, s’est écarté des méthodes dites « quantitatives » et statistiques pour privilégier l’observation participante »

Institution (semi) totale en quoi ?

L’école est un lieu géographiquement fermé par des murs, des grilles (Maes, p.33) voire même par des agents de gardiennage (Vienne, p.69).

En savoir plus : Philippe Vienne a étudié les « écoles de la dernière chance » en Belgique francophone » – VIENNE, Ph., « Carrière morale et itinéraire morale dans les écoles ‘de dernière chance’ : les identités vacillantes », Lien social et Politiques n°53, pp.67-80, 2005

L’enseignement est organisé en unités de temps et le but initial de celui-ci est le « maintien de l’ordre social » (Maes, p.36). L’école a en effet à l’origine une mission « orthopédique » (Maes, p.40), elle est un lieu de reproduction sociale et également une source de normes sociales qui reposent sur des « mécanismes de sélection liés au capital culturel, social et économique » (Maes, p.37). L’école englobe tous les individus qui la composent.

En savoir plus : Les institutions totales selon Maes – MAES, R., Institutions totales, institutions disciplinaires : une (brève) introduction – Support du cours de Psychologie des Organisations (Titulaire : Michel Sylin), Unité de Psychologie des Organisations, ULB, 2009-2010.– Lien uplo. ulb. ac.be, 2010

Comment pose-t-elle ces normes ?

L’établissement est une structure dominée par une autorité qui pose des normes disciplinaires. Celles-ci doivent être intégrées par l’ensemble des individus qui composent l’école, tant le personnel que les élèves. Pour ce faire, l’autorité doit exercer une « violence symbolique » (Maes, p.37), violence qui est légitime.

Bourdieu expliquait en 1984 qu’il s’agit de « cette violence qui extorque des soumissions qui ne sont même pas perçues comme telles en s’appuyant sur des ‘attentes collectives’, des croyances socialement inculquées ». Nous sommes bien dans l’idée d’une « intégration des normes sociales » : l’autorité disciplinaire est dans la « production » et la « reproduction » (Maes p.38) de celles-ci.

L’école exercerait donc un « totalitarisme doux », une « domination par persuasion invisible, inconsciente » (Baudry cité par Vienne, p.68). Cette expression correspondrait plus à l’idéal de Foucault qui parle d’institution totale inscrite dans un « dispositif disciplinaire » qui est intégré par les individus dans un processus de « conditionnement mental » (Maes pp. 42 et 46). L’institution n’aurait plus besoin des limites physiques pour exercer une violence symbolique sur les individus.

Maes pose également une réflexion sur le fait que l’école serait davantage inscrite dans un dispositif économique que dans un disciplinaire de par son rapprochement avec les entreprises, de par ses missions qui visent la flexibilité et l’efficacité des futurs diplômés. La question est la suivante : est-ce que l’école essaye toujours de maintenir un ordre social ou l’objectif est-il davantage économique, entrepreneurial (Maes, p.40) ?

Et le médiation au sein de cette institution ?

La médiation scolaire s’inscrit dans un dispositif instauré par la Fédération Wallonie-Bruxelles. En Wallonie, les médiateurs ont leur bureau à l’extérieur de l’établissement tandis qu’en région bruxelloise, certains ont un local intégré dans les bâtiments de l’école.

Concernant les médiateurs scolaires bruxellois, nous pouvons supposer qu’en travaillant au sein de l’institution totale que représente l’école, ils en subissent sa violence symbolique et seraient donc influencés par les normes qui visent à maintenir un ordre social. Le plus important n’est pas qu’ils seraient influencés par l’institution mais surtout que les candidats potentiels à la médiation présupposeraient la prégnance de l’autorité scolaire / disciplinaire dans le processus de médiation.

Le médiateur face aux mortifications institutionnelles

Qu’il y ait confiance ou pas, les médiés pourraient exprimer la « pression institutionnelle » (Vienne, p.70) dont ils se sentent victimes. Ils peuvent se sentir délaissés par l’établissement scolaire, se sentir marginalisés par celle-ci, démontrer une « mortification institutionnelle » (Vienne, p.71). Comme le médiateur peut-il réagir ? Comment peut-il réparer les dommages causés par l’institution sans se mettre cette dernière à dos ? De plus que le médiateur étant dans le monde scolaire est automatiquement assimilé à celui-ci et peut représenter les contraintes disciplinaires bien malgré lui. Si c’est un professeur ou un directeur qui sollicite la médiation et que ça devient lié à un conflit qui peut mener à des sanctions disciplinaires, l’élève va voir dans le médiateur la reproduction d’une contrainte, d’un risque de sanction disciplinaire s’il ne se plie pas à la médiation.

Ph. Vienne expliquait dans son texte la situation d’un jeune qu’il a eu en classe : ce dernier était constamment dans une logique conflictuelle, provoquant les professeurs ainsi que d’autres élèves. Afin que la situation ne devienne pas intenable, l’élève est invité à une médiation urgente. Il est amené au local par un surveillant-éducateur avec lequel il s’entend bien.  Le jeune est gardé malgré lui dans le local face à la médiatrice avec laquelle il ne semble pas vouloir parler. Cette dernière essaye d’aménager les conditions propices au dialogue mais peu à peu d’autres personnes comme « l’assistante sociale, la sous-directrice, le directeur etc. » rentrent dans le local et se mêlent à l’échange. Finalement le jeune a vécu cela « comme une sorte de tribunal destiné à l’humilier en public » (Vienne, p.77)

La plus grande réflexion à se faire est celle-ci : Comment les médiateurs peuvent-ils assurer à leur public un isolement idéologique ? Ils sont vus avec des professeurs et directeurs, au même local, à la cour de récré etc. Certains élèves pourraient se dire que le médiateur connaît tout de leur « dossier scolaire » (Vienne, p.75) et pourraient s’en sentir gênés, jugés avant le moindre premier échange. D’autres élèves pourraient vivre la situation ci-dessus expliquée, c’est-à-dire des intrusions qui peuvent dégrader voire détruire leur confiance en le processus de médiation.

En conclusion, le médiateur souhaiterait offrir au public un petit cocon sécurisant mais il est dans les murs de l’école et en un sens, appartient à celle-ci. Il revient donc au médiateur la difficile tâche de mettre en confiance le médié, de l’isoler de l’institution qui l’englobe idéologiquement et géographiquement, de s’imposer en tant que tiers neutre et impartial, de finalement faire comprendre au public que la déontologie de sa profession est plus importante que l’institution semi-totale qu’est l’école.

Auteur : Aaricia Behets – mars 2017