Pour une pratique réflexive d’une science et d’une sagesse déontologique en médiation

Vers un Traité collectif évolutif et participatif

De la démarche

La présente démarche est issue de l’ASBL Mediscola, qui rappelons-le, se donne pour but l’animation d’un mouvement de promotion et de développement de la médiation en milieu scolaire ainsi que la réunion des médiateurs autour d’un cadre déontologique commun.

A l’initiative de membres de cette ASBL, une série de rencontres et séminaires se sont déroulés, depuis plusieurs années, autour des questions d’éthique et de déontologie particulières à la médiation.

A ces occasions, les participants[1] (les travaux étaient ouverts à tous) se sont proposés, tout en se penchant ensemble autour de la pratique professionnelle de la médiation, d’ouvrir une réflexion collective sur la notion même de « déontologie » en tant que « théorie des devoirs » et ceci aidés, soutenus par un article du Professeur E. Prairat[2]

Il s’est agi d’aborder le plus librement possible une série de questions préalables et qui semblaient substantielles à la réflexion, ainsi à titre d’exemple : « qu’est-ce qu’une théorie des devoirs ? », « une telle théorisation est-elle souhaitable dans notre champ professionnel ? », « quelles formes et configurations pourrait-elle prendre, au-delà d’un simple énoncé codifié des devoirs ? », « quelles conséquences en terme de morale collective, de contrôle, de norme et de souplesse, de posture et d’imposture, de loyauté et de trahison ?», « une telle approche théorique pourrait-elle avoir comme effet de fédérer une jeune profession » ?

Ces questions ont alimenté la tentative de « traité » se voulant, à l’instar de ce que nous pensons être la substance de la médiation : Évolutif, collectif et participatif et dont les présents feuillets sont l’Abrégé. 

De la théorie / Logos des devoirs professionnels

En s’appuyant sur le texte de E. Prairat et si l’on suit avec lui l’étymologie (« déontologie » : du grec deon : le devoir et de logos : le discours, la raison, la logique, la science, ..), la déontologie est ainsi la théorie/discours/raison/science des devoirs qui régissent et orientent l’activité d’un professionnel dans l’exercice de sa tâche.

Citons toujours le même auteur, et « rappelons qu’une profession n’est ni une association (un rassemblement volontaire de personnes), ni une communauté (un groupe partageant une même conception du bien). Ce qui relie les membres, au sein d’une même profession, n’est ni ce qu’ils sont, ni ce qu’ils entendent devenir mais ce qu’ils ont à faire ensemble, ici et maintenant. Ce n’est ni du côté de l’identité, ni du côté du telos (but) qu’il faut chercher l’élément fédérateur mais du côté de la tâche commune.

Dans une société plurielle et sécularisée, en un mot, moderne, ce n’est ni la ressemblance des acteurs ni la convergence des vocations qui constituent le centre de gravité d’une profession mais son utilité publique. Ainsi, une profession apparaît comme telle lorsque les professionnels se reconnaissent une tâche commune d’utilité collective et lorsqu’ils sont capables de se coordonner en s’imposant un ensemble de règles partagées. Il y a une primauté de l’activité, une antécédence de l’action sur l’identité. L’action commune et concertée ne résulte jamais de l’identité, bien au contraire, elle la fonde et la construit. L’identité n’est pas une condition mais une conséquence, car c’est en s’assemblant que l’on a des chances de se ressembler. »

Ainsi prenant au sérieux le caractère puissant et fécond de l’étymologie et de l’histoire du concept de « déontologie », les participants aux différents séminaires ont résolument décidé de dépasser la relative « réduction sémantique » qui était apparemment opérée aujourd’hui envers ce concept, et d’en réactiver la richesse de sens.

Suivant cette intuition, la déontologie n’est, selon notre démarche, décidément pas réductible à une liste ou charte codée de devoirs génériques d’une profession. Comprenons-nous bien, il ne s’agit pas de disqualifier les codes de déontologie et les chartes éthiques en tant que tel qui ont leur raison d’être dans la protection directe des usagers et des praticiens mais bien plutôt d’ouvrir parallèlement un travail de pratique réflexive sur les devoirs du métier de médiateur. Dans notre démarche, la déontologie est bien plutôt une étude vivante, ouverte, un chantier scientifique et philosophique de réflexions, de débats, de constitutions collaboratives et évolutives autour d’une série de principes à la fois fondateurs et en évolutions.

Notons que ces principes se présentent aussi en articulation avec les valeurs personnelles de chaque médiateur ; valeurs pouvant se réfléchir de la sorte : « En tant que médiateur qu’est ce qui vaut pour moi, qu’est-ce qui importe le plus ? Qu’est ce qui me passionne dans ce métier ? Quel idéal sous-tend mon engagement dans ce métier ? Cela rencontre quelle aspiration en moi ? ». Cet aspect des choses, rajoute encore matières vivantes et liées à la sensibilité de chacun, notamment par certaines tensions entre Valeurs et Principes, qui peuvent s’avérer parfois contradictoires.

De la réflexivité collective et évolutive 

Le projet de cette approche évolutive vers un traité des devoirs, vivant et en co-construction permanente, peut se résumer comme suit :

  • En guise de préambule qui énoncerait à minima, comme affirmation inaugurale, les missions qui incombent aux professionnels de la médiation et en déclinerait les concepts et les valeurs attachés à leur exercice; l’option choisie est de partir de la définition légale de la médiation adoptée depuis 2018 en Belgique (par le code judiciaire):

« La médiation est un processus confidentiel et structuré de concertation volontaire entre parties en conflit qui se déroule avec le concours d’un tiers indépendant, neutre et impartial qui facilite la communication et tente de conduire les parties à élaborer elles-mêmes une solution. »

  • A partir de ce substrat chaque mot-clé de la définition sera ouvert dans un premier temps par un « terreau » (humus, compost, fumier etc.) d’argumentations, de réflexions et de développements susceptibles d’être complétés, interrogés, nuancé, modifié par démarche collaborative et collective ensuite, et ceci dans l’idée d’un chantier ouvert, permanent et non-définitif ; sorte de co-construction papillonnante et colorée. (cf. technique d’élaboration collaborative « WIKI »).
  • Ainsi, lors des développements menant vers un véritable « Traité », chaque fragment du terreau argumentatif de base pourra se déployer de manière polysémique dans plusieurs directions (tout en respectant les « noyaux infracassables » de sens, atomes constitutifs des mots) incitant par là des échanges professionnels non dogmatiques et une approche non culpabilisante ou non pénalisante de la pratique du métier.
  • Chaque mot ou séquence de mots issus de la définition légale de la médiation, est prise dans sa résonance interne propre et transversale ; il n’y a en effet pas d’organisation hiérarchique ou pyramidale entre les différents concepts déployés. Pourtant il est à noter que certains principes apparaissent tout de même comme tellement cruciaux dans la pratique que nous les avons soulignés et qualifiés de cardinaux. Ils sont au nombre de quatre : Neutre ; Indépendant ; Confidentiel ; Volontaire.
  • L’option basique et préalable de cet Abrégé sera de partir d’une description sémantique de chaque mot (ou séquence de mots) clés ; et ceci s’étayant de l’usage de plusieurs dictionnaires de la langue dont le principal est le « Dictionnaire historique de la langue française » (Edition Le Robert, Mars 2000).  Il sera ensuite directement proposé une série de questions, dont beaucoup formulées à la première personne du singulier, pouvant ainsi donner lieu à une immersion la plus « incarnée » possible dans la pratique du métier de médiateur et ses implications en terme de devoirs. Ces questions ouvrant alors à la potentialité, libre, des multiples développements réflexifs et délibératifs (voire pourquoi pas polémiques) ultérieurs.
  • Il nous est apparu au fil de ce processus de travail, que le fait de penser/rêver un métier est tout aussi important que d’en délimiter les contours pragmatiques. Il est sans doute crucial de ne pas séparer ces deux aspects. Ainsi pour paraphraser le psychanalyste Adam Phillips : Dans la pratique et la théorie d’un métier, se manifeste souvent l’opposition entre le Rêveur et le Pragmatique. Tandis que le Pragmatique veut plutôt résoudre des problèmes, aller vers l’accomplissement des choses, mettre de l’ordre dans celles-ci et savoir quoi faire ; le Rêveur s’applique, quant à lui, à suivre ses mots là où ils iront, à éprouver plutôt qu’à réaliser les choses, et voir ce qui arrive, ce qui apparaît lorsqu’il revisite ses délires. Posons, avec Adam Philips, que cette opposition s’avère sans doute sèche et inféconde, alors qu’au contraire un lieu, comme entre autres, ce Traité déontologique, pourrait être l’occasion d’une réconciliation de ces deux énergies, de ces deux enthousiasmes et ceci avec la même vigueur toute organique et vivante.

Citons enfin, et pour clore cette introduction, notre collègue médiateur Antonio Da Conceiçao : « si la déontologie est en soi une théorie des devoirs, il s’agit au fond d’apprendre à les faire, les appliquer, au mieux. La critique qui se limite à dire ce qui est faux et ce qui est juste, ou encore le reproche ou la culpabilisation entrave plus qu’il ne contribue aux apprentissages. Pour apprendre il faut pouvoir prendre, se saisir, de l’objet qui nous intéresse. Il y a une dimension innée aux apprentissages. Dès la naissance et même avant, l’être humain apprend l’incarnation, la vie, le monde. Nul besoin de lui demander d’apprendre ni de lui enseigner, l’enfant apprend sans arrêt. Et s’il est impliqué librement dans son action, sa concentration, il apprend pleinement. Pour l’enfant un synonyme à apprendre c’est jouer. L’enfant apprend tout et tout le temps en jouant. Et ce qui est retenu, acquis, est ce qui l’a été avec enthousiasme. La déontologie doit rencontrer la dimension du jeu ou alors ne pas être! » 


[1] Les participants, lors des ateliers, qui se sont tenus de 2017 à 2020 étaient principalement des médiateurs francophones en milieu scolaire de Belgique ou intéressés par la médiation scolaire.

[2] Eirick Prairat, « Vers une déontologie de l’enseignement », Éducation et didactique [En ligne], vol 3 – n°2 | Juin 2009, mis en ligne le 01 juin 2011